La vie partagée de l'auteur avec un chevreuil en forêt de Louviers en Normandie.
Editions Les arènes, février 2021, 251 pages, 19,90 €.
ISBN 979-10-366-1796-6
Geoffroy Delorme est un photographe animalier, conférencier et auteur français.
Antoine Waechter nous livre son commentaire :
Amoureux de la nature, Geoffroy Delorme n’a pas vingt ans lorsqu’il décide de s’installer dans la forêt de Louviers en Normandie, sans tente et sans sac de couchage. Il va vivre ainsi dans les bois pendant sept ans, entrant en relation avec quelques chevreuils, dont il adopte les comportements et avec lesquels il établit une relation de confiance.
Cette expérience fait de lui l’une des meilleurs connaisseurs du chevreuil, dont il a partagé l’intimité. Il a connu avec eux l’angoisse devant les battues de chasse et les désastres liés à la transformation du peuplement forestier qui détruit les sources de nourriture, les coupes rases qui perturbent les territoires, le fractionnement par les routes qui introduisent les risques collision…
Ecrit avec sensibilité et illustré des magnifiques photographies prises par Delorme, ce livre doit être lu par tous ceux qui sont touchés par la beauté et la vie sauvage. Celui qui a lu ce témoignage ne peux plus chasser. Certains chasseurs ont d’ailleurs mis en cause la véracité de cette expérience, affirmant que le chevreuil est un animal farouche incapable d’établir un lien avec l’humain. Cette réaction démontre que ces chasseurs ne connaissent pas l’animal qu’ils tuent.
J’ai alors adressé à la presse ce commentaire. Un brocard, une chevrette, parfois les deux ensembles, fréquentent notre jardin presque tous les jours depuis plus de deux ans, à quelques mètres de notre demeure. Un matin, nous avons trouvé le couple allongé contre le mur de la maison. Un autre jour, deux faons jouaient sur la pelouse en plein soleil. Nous pourrions établir avec ces animaux une relation privilégiée si nous en prenions le temps.
Le couple dans le potager à moins de 10 mètres de la maison
Car il faut de la patience, comme le décrit si bien Antoine de Saint Exupéry dans le Petit Prince.
« Bonjour, dit le renard.
– Bonjour, répondit poliment le petit prince, qui se tourna mais ne vit rien.
– Je suis là, dit la voix, sous le pommier…
– Qui es-tu ? dit le petit prince. Tu es bien joli…
– Je suis un renard, dit le renard.
– Viens jouer avec moi, lui proposa le petit prince. Je suis tellement triste…
– Je ne puis pas jouer avec toi, dit le renard. Je ne suis pas apprivoisé.
– Ah ! pardon », fit le petit prince.
Mais après réflexion, il ajouta :
« Qu’est-ce que signifie « apprivoiser » ?
– C’est une chose trop oubliée, dit le renard. Ça signifie « Créer des liens… »
– Créer des liens ?
– Bien sûr, dit le renard. Tu n’es encore pour moi qu’un petit garçon tout semblable à cent mille petits garçons. Et je n’ai pas besoin de toi. Et tu n’as pas besoin de moi non plus. Je ne suis pour toi qu’un renard semblable à cent mille renards. Mais, si tu m’apprivoises, nous aurons besoin l’un de l’autre. Tu seras pour moi unique au monde. Je serai pour toi unique au monde… »
Tous les animaux sont susceptibles de créer des liens. Un lien non pas entre l’Homme et l’Animal, au sens générique de ces termes, mais entre une personne bien identifiée, notamment par l’odeur, et un individu chevreuil, renard ou mésange. Dans le monde modelé depuis des millénaires par la chasse, cette relation ne peut pas être à notre initiative. C’est l’animal qui prend l’initiative de s’approcher après des jours d’observation et après avoir constaté qu’il n’a rien à craindre. La curiosité sera le premier moteur de cette approche, puis l’attrait d’une nourriture offerte, et peut-être, à la longue, un lien plus subtil.
Précisons qu’il ne s’agit pas ici du transfert d’une identité humaine sur un jeune animal (le phénomène d’imprégnation décrit par Konrad Lorentz), qui est vraisemblablement à la base de la domestication du Sanglier (porcs), du Chat, du Loup (chiens) et de bien d’autres espèces, mais bien d’un lien avec un animal qui fait la démarche d’établir librement la relation.
Antoine Waechter
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